2

 

Gobe-lumen l’Ascension Gnostique,
espace interstellaire, 2615

 

Le chirurgien général Grelier avançait à grands pas dans les coursives incurvées. Il fredonnait et sifflotait, heureux d’être entouré de machines bourdonnantes et d’organismes à moitié formés. Il se sentait comme un poisson dans l’eau, dans la lumière glauque qui baignait la fabrique de corps. Il frétillait d’excitation à l’idée du système solaire qui les attendait et de tout ce qui risquait d’en découler. Pas forcément pour lui, mais plus certainement pour son rival dans le cœur de la reine Jasmina. Grelier se demanda comment elle prendrait un nouvel échec de ce Quaiche. À vrai dire, telle qu’il la connaissait, il doutait qu’elle le prenne formidablement bien.

Cette pensée lui arracha un sourire. Détail ironique, ce système dont dépendaient tant de choses n’avait pas encore de nom. Personne ne s’était jamais intéressé à cette étoile reculée et à son minable amas planétaire. Quel intérêt, de toute façon ? Ils devaient être référencés, comme des myriades d’autres, dans la base d’astronavigation de l’Ascension Gnostique – comme de tous les autres vaisseaux spatiaux, du reste –, leur immatriculation au catalogue assortie de brèves données sur leurs caractéristiques principales, les dangers qu’ils pouvaient présenter et tout le toutim. Mais ces bases de données n’avaient pas été conçues pour des yeux humains ; elles n’étaient consultées et remises à jour que par d’autres machines qui effectuaient quasi instantanément, dans le silence absolu, toutes les tâches considérées comme trop fastidieuses ou trop complexes pour des êtres humains. La description de ce soleil et de ses planètes se bornait à quelques séquences digitales, une enfilade de 0 et de 1. Le fait que cette référence n’ait été appelée que trois fois au cours de la durée de vie opérationnelle de l’Ascension Gnostique en disait long sur l’insignifiance du système. Les données avaient été réactualisées une fois.

Grelier le savait : il avait vérifié, par curiosité.

Et pourtant, pour la première fois peut-être, ce fichu système revêtait un certain intérêt. Le fait même qu’il n’ait pas de nom devenait vaguement troublant, au point que la reine Jasmina avait l’air un tout petit peu plus irritée chaque fois qu’elle devait évoquer le « système vers lequel nous nous dirigeons » ou le « système dont nous approchons ». Mais Grelier savait qu’elle ne daignerait pas le baptiser tant qu’elle ne serait pas convaincue qu’il en valait la peine. Et la charge de la preuve incombait au favori de la reine, Quaiche… dont l’étoile était un tantinet pâlissante.

Grelier s’arrêta un instant devant une cuve de vivification. Derrière la vitre verdâtre, un corps flottait dans un gel nutritif translucide. La base du réservoir était entourée de rangées de boutons, d’interrupteurs organiques, certains enfoncés, d’autres non, qui régissaient le délicat environnement biochimique de la matrice. Les éléments nutritifs comme l’eau et les différents sels étaient distribués par des valves de bronze situées sur le côté de la cuve.

Sur le devant était affichée une plaquette résumant l’histoire clonale du corps. Grelier la parcourut pour se rassurer : tout allait bien. La plupart des corps de la fabrique n’avaient jamais été décantés, mais ce spécimen – adulte et de sexe féminin – avait déjà été réchauffé et utilisé une fois. Les processus de régénération avaient commencé à estomper les marques des blessures qu’elle avait reçues. Les cicatrices abdominales se résorbaient au point de devenir invisibles, la nouvelle jambe avait presque retrouvé la longueur de l’autre. Jasmina n’approuvait pas ces travaux de rafistolage, mais ses exigences en matière de corps excédaient la capacité de production de la fabrique.

Grelier tapota affectueusement la vitre.

— Ça s’annonce bien, hein ?

Il poursuivit sa ronde en procédant à des vérifications aléatoires des autres corps. Il se contentait parfois d’un coup d’œil, mais, la plupart du temps, il regardait la plaquette et prenait le temps d’effectuer de petits réglages. Il était très fier de la tranquille compétence dont il faisait preuve. Il ne se vantait jamais de son travail, de son professionnalisme, ne promettait jamais rien qu’il ne soit absolument sûr de pouvoir donner – ce en quoi il se distinguait radicalement de Quaiche, qui avait multiplié les promesses irréfléchies depuis le jour où il avait mis le pied à bord de l’Ascension Gnostique.

Ça avait marché, pendant un moment en tout cas. Grelier, qui avait longtemps été le plus proche conseiller de la reine, s’était trouvé temporairement supplanté par le nouveau venu, si glamour. Quaiche par-ci, Quaiche par-là ; Jasmina en avait plein la bouche. Il n’y en avait que pour lui, qui allait leur apporter le bonheur à tous. Elle avait même commencé à se plaindre de la façon dont Grelier s’acquittait de sa tâche, gémissant que la fabrique ne livrait pas les corps assez vite, et que les thérapies de substitution perdaient de leur efficacité. Grelier avait eu la tentation, fugitive, de se lancer dans une manip qui aurait sérieusement attiré son attention et l’aurait rétabli dans ses bonnes grâces.

Il se félicitait chaleureusement, aujourd’hui, de n’en avoir rien fait : il n’avait eu qu’à attendre que Quaiche creuse sa propre tombe en suscitant des attentes qu’il était bien incapable de satisfaire. C’était triste – enfin, pas pour lui, pour Quaiche –, parce que Jasmina l’avait pris au mot. À en juger par l’humeur de la reine, ce pauvre vieux Quaiche était à deux doigts de subir le supplice de la figure de proue.

Grelier s’arrêta devant un adulte mâle qui présentait, lors du dernier examen, des signes d’anomalies du développement. Grelier avait ajusté les réglages du réservoir, mais son intervention n’avait apparemment servi à rien. Le corps, qui aurait pu paraître normal à un œil profane, n’avait pas la symétrie parfaite que Jasmina exigeait. Grelier secoua la tête et posa la main sur l’une des roues de bronze poli qui commandaient les valves. C’était toujours un moment difficile. Le corps n’était pas au standard de la fabrique, mais le rafistolage ne l’était pas davantage. Le moment était-il venu de faire accepter à Jasmina une révision des critères de qualité ? C’était elle qui poussait la fabrique à ses limites, après tout.

Non, décida Grelier. S’il avait tiré une leçon de la sordide affaire Quaiche, c’était qu’il ne fallait pas transiger avec la qualité. Jasmina lui reprocherait d’avoir avorté un corps, mais, à long terme, elle respecterait son jugement, sa dévotion inébranlable à l’excellence.

Il tourna la roue, coupant l’arrivée du liquide physiologique. Il s’agenouilla et actionna tous les interrupteurs, fermant les valves d’alimentation.

— Désolé, dit-il au visage lisse, inexpressif, derrière la vitre. Mais tu n’étais pas au niveau.

Il jeta un dernier coup d’œil au corps. D’ici quelques heures, le processus de déconstruction cellulaire se traduirait par une dégénérescence grotesque. Le corps serait décomposé et ses éléments chimiques recyclés ailleurs, dans la fabrique.

Une voix bourdonna dans son oreillette. Il appuya sur un bouton.

— Grelier… Je t’attends !

— J’arrive, ma reine.

Un voyant rouge clignota au-dessus de la cuve de vivification, en synchronisme avec une alarme sonore. Puis le silence se fit dans la fabrique de corps, un silence seulement troublé par le gargouillis des fluides nutritifs et, occasionnellement, par le déclic étouffé d’un régulateur de valve.

Grelier eut un hochement de tête satisfait. Il dominait la situation. Il reprit ses déambulations.

Grelier actionnait la commande qui régissait une dernière valve nutritive lorsqu’une anomalie se produisit au niveau des capteurs du vaisseau. Ce fut bref – à peine plus d’une demi-seconde – mais assez inhabituel pour déclencher une alerte : un événement suffisamment exceptionnel dans le flux de données méritait un minimum d’attention.

Pour les systèmes logiques de l’ensemble de capteurs, les choses en resteraient là : l’anomalie ne s’était ni poursuivie ni répétée, et le hardware fonctionnait normalement. L’alerte n’était qu’une formalité ; une strate complètement distincte et légèrement plus intelligente de systèmes de monitoring déciderait s’il y avait lieu de réagir ou non.

La seconde strate – consacrée au contrôle d’état de tous les sous-systèmes de capteurs à l’échelle du vaisseau – détecta le signet, ainsi que plusieurs millions d’autres qui avaient été placés au cours du même cycle, et lui assigna une routine dans son profil de tâche. Moins de deux cents millièmes de seconde s’étaient écoulés depuis la fin de l’anomalie : une éternité en termes computationnels, mais c’était une conséquence inévitable de l’énormité du système nerveux cybernétique de l’Ascension Gnostique. Les communications d’un bout à l’autre du gobe-lumen devaient parcourir trois ou quatre kilomètres de câbles, six ou sept si le signal faisait l’aller et retour.

Rien n’allait jamais très vite à bord d’un vaisseau de cette taille, mais c’était quasiment sans importance, sur le plan pratique. Le gigantisme du vaisseau le condamnait à répondre avec une certaine viscosité aux événements externes : dans un environnement où la vitesse de la lumière était la mesure de référence, ses réflexes étaient ceux d’un brontosaure.

La strate de contrôle d’état effectua un balayage systématique du paquet de données.

La plupart des millions et des millions d’événements signalés étaient parfaitement anodins. Elle les supprima sans hésitation, en se fondant sur ses schémas estimatifs de survenue d’erreur. C’étaient des anomalies transitoires, non symptomatiques d’un dysfonctionnement réel du hardware. Seuls quelques centaines de milliers de signets paraissaient un tout petit peu douteux.

La seconde strate fit ce qu’elle faisait toujours à ce stade : elle compila les cent mille événements anormaux en un unique paquet, y adjoignit ses propres commentaires et recommandations, et refila le tout au troisième niveau de monitoring.

La troisième strate passait le plus clair de son temps à ne rien faire ou presque : elle n’existait que pour examiner les anomalies transmises par les strates moins expertes. Ainsi alertée, elle examina le dossier avec autant d’intérêt que le lui permettait son semblant de conscience. Selon les critères généralement appliqués aux machines, elle se situait encore un peu en dessous de l’intelligence de niveau gamma, mais elle était en activité depuis si longtemps qu’elle avait accumulé un extraordinaire corpus d’expériences heuristiques. La troisième strate se sentit quasiment outragée par la futilité de la moitié des événements transmis, mais les cas restants étaient plus intéressants, et elle les parcourut en prenant son temps. Les deux tiers de ces anomalies étaient des irrégularités répétitives : l’indice de défauts réels, mais transitoires, de certains systèmes. Et comme aucun ne se trouvait dans des zones critiques de fonctionnement du vaisseau, tant que ça en resterait là, il était urgent de ne rien faire.

Un tiers des cas intéressants étaient nouveaux. Parmi ceux-là, quatre-vingt-dix pour cent étaient le genre d’échecs occasionnels, inévitables, auxquels on pouvait s’attendre de temps en temps, compte tenu des divers composants et des éléments logistiques impliqués. Seule une poignée concernait des zones peut-être critiques, et par bonheur certaines méthodes de réparation de routine permettaient d’y remédier. Quasi machinalement, la strate envoya des instructions aux systèmes dédiés à la maintenance de l’infrastructure.

En divers points du vaisseau tout entier, des coordonnées furent injectées dans la mémoire tampon des droïdes qui étaient déjà mobilisés par d’autres travaux de maintenance. Il leur faudrait peut-être des semaines pour mener ces tâches à bien, mais ils finiraient par les effectuer.

Restait un infime noyau d’erreurs moins explicables, et potentiellement inquiétantes. La formulation des consignes destinées aux droïdes chargés de les régler n’était pas aussi évidemment automatique. La strate n’était pas excessivement inquiète, dans la mesure où elle avait la faculté de s’inquiéter de quoi que ce soit : l’expérience lui avait appris que ces gremlins se révélaient généralement bénins. En attendant, elle n’avait pas le choix : elle devait transmettre les exceptions énigmatiques à une strate supérieure d’automation.

Et c’est ainsi que l’anomalie remonta encore à travers trois niveaux d’intelligence croissante.

Le temps que la strate finale soit sollicitée, le paquet ne contenait plus qu’un événement exceptionnel : l’anomalie de capteur originelle, le phénomène transitoire qui n’avait duré qu’un peu plus d’une demi-seconde. Aucune des strates sous-jacentes ne pouvait l’expliquer par les schémas statistiques habituels, ou y remédier grâce aux routines classiques.

Il n’arrivait guère plus d’une ou deux fois par minute qu’un événement remonte aussi haut dans le système.

C’est alors que, pour la première fois, l’intervention d’une intelligence réelle fut sollicitée. La sous-persona de niveau gamma chargée de superviser les exceptions de la strate six constituait l’un des éléments de la dernière ligne de défense entre la cybernétique du vaisseau et son équipage de chair et de sang. C’est à elle qu’incombait le rôle difficile consistant à décider si une erreur donnée méritait d’être portée à l’attention de ses serviteurs humains. Au fil des ans, elle avait appris à ne pas crier trop souvent au loup, ce qui aurait pu amener ses propriétaires à penser qu’elle avait besoin d’une émulation. En conséquence de quoi, elle hésita pendant plusieurs secondes avant de décider de la mesure à prendre.

Elle se dit que l’anomalie était l’une des plus étranges auxquelles elle avait jamais été confrontée. Elle eut beau procéder à un examen exhaustif de tous les chemins logiques, rien n’expliquait comment une chose aussi profondément, rigoureusement inhabituelle avait pu se produire.

L’exécution correcte de sa tâche exigeait que la sous-persona soit dotée d’une compréhension abstraite du monde réel. Rien de très sophistiqué, mais assez pour lui permettre de porter des jugements sensés sur les différentes sortes de phénomènes externes que les capteurs étaient susceptibles de rencontrer, et ceux qui étaient tellement improbables, d’une façon générale, qu’ils ne pouvaient être interprétés que comme des hallucinations introduites à une étape tardive du traitement de données. Il était important qu’elle perçoive l’Ascension Gnostique comme un objet physique inclus dans l’espace. Et aussi que les événements enregistrés par le réseau de capteurs du vaisseau étaient provoqués par des grains de poussière, des champs magnétiques, des échos radar des corps les plus proches, et par les radiations émises par les phénomènes plus lointains : des mondes, des étoiles, des galaxies, des quasars, le bruit de fond du cosmos. Pour cela, elle procédait à des estimations précises de ce qu’aurait dû être le retour de données de tous ces objets. Ces règles, personne ne les lui avait jamais dictées ; elle les avait formulées elle-même, au fil du temps, en les corrigeant et en les rectifiant au fur et à mesure qu’elle accumulait les informations. C’était une tâche sans fin, mais, à ce stade tardif du jeu, elle considérait qu’elle y excellait.

Elle savait, par exemple, que les planètes – ou plutôt, les objets abstraits de son modèle qui correspondaient à des planètes – n’étaient absolument pas censées se comporter ainsi. En tant qu’événement du monde extérieur, l’erreur était rigoureusement inexplicable. Quelque chose avait dû vraiment débloquer au niveau de la capture de données.

Elle réfléchit encore un instant. Même en admettant cette explication, l’anomalie restait difficile à justifier. Elle était particulièrement sélective, n’affectant qu’une seule planète. On n’avait rien constaté d’étrange, si peu que ce fût, concernant quoi que ce soit d’autre, pas même les lunes de la planète.

La sous-persona changea de mode de raisonnement : l’anomalie devait être externe, auquel cas son modèle du monde réel était monstrueusement erroné. Cette conclusion ne lui plaisait pas davantage. Il y avait bien longtemps qu’elle n’avait pas été amenée à émuler radicalement son modèle, et elle envisageait cette perspective avec l’impression d’essuyer un affront cuisant.

Pis encore, l’observation pouvait amener à se demander si, sans être en danger immédiat – la planète en question était encore à des douzaines d’années-lumière –, si, donc, l’Ascension Gnostique ne fonçait pas droit vers une chose susceptible de se révéler dangereuse…

Conclusion : la sous-persona n’avait pas le choix ; cette fois-ci, elle devait alerter l’équipage.

Et la seule procédure possible était une intervention prioritaire auprès de la reine Jasmina.

La sous-persona établit que, en cet instant précis, la reine consultait des résumés d’état par l’intermédiaire de son moyen de lecture visuelle préféré. Comme elle y était autorisée, la sous-persona prit le contrôle du canal de données et vida les deux écrans afin de les préparer à la réception d’un bulletin d’urgence.

Elle rédigea un simple message texte : ANOMALIE DE CAPTEUR. AVIS DEMANDÉ.

L’espace d’un instant – sensiblement inférieur à la demi-seconde qu’avait duré l’événement originel –, le message s’inscrivit sur l’afficheur de la reine, sollicitant son attention.

Puis, subitement, la sous-persona se ravisa.

Elle commettait peut-être une erreur. L’anomalie, si bizarre qu’elle ait été, s’était rectifiée d’elle-même. Aucune des strates sous-jacentes n’avait émis un seul autre rapport d’étrangeté. La planète se comportait de la façon dont la sous-persona avait toujours pensé que les planètes devaient se comporter.

Elle décréta que, si elle avait eu un peu plus de temps, elle aurait sûrement pu expliquer l’événement par une avarie perceptuelle. Elle n’avait qu’à reprendre le problème en examinant toutes les données sous le bon angle, en prenant un peu de recul. C’était exactement ce qu’on attendait d’une sous-persona. Si elle signalait aveuglément toutes les anomalies qu’elle ne parvenait pas à expliquer instantanément, l’équipage aurait vite fait de la remplacer par une nouvelle strate dénuée de tout discernement. Ou pire, on l’émulerait pour la doter d’une intelligence supérieure.

Elle effaça le message de l’afficheur et rétablit instantanément les données que la reine regardait l’instant d’avant.

Elle continua néanmoins à ruminer le problème jusqu’à ce que, une minute plus tard, une autre anomalie lui tombe dessus. Il s’agissait cette fois d’un déséquilibre de poussée, un écart infime dans la propulsion conjoineur de tribord. Confrontée à cette nouvelle urgence, elle décida de classer l’affaire. Même selon le relatif ralentissement des communications à bord, une minute était un long moment. À chaque minute qui passait sans nouvelle manifestation d’étrangeté de la part de la planète, l’anomalie finirait par dégringoler à un niveau de priorité inférieur.

La sous-persona ne l’oublierait pas – elle était bien incapable d’oublier quoi que ce soit –, mais, d’ici une heure, elle aurait eu bien d’autres problèmes à régler.

Parfait. C’était décidé. La meilleure façon de traiter le problème consistait à faire comme s’il ne s’était jamais produit, point final.

C’est ainsi que la reine Jasmina ne fut informée de l’anomalie que pendant une fraction de seconde. Et c’est ainsi qu’aucun membre humain de l’équipage de l’Ascension Gnostique – ni Jasmina, ni Grelier, ni Quaiche, ni aucun des autres Ultras – ne sut jamais que pendant une demi-seconde la plus grande géante gazeuse du système dont ils approchaient, le système qu’ils avaient, avec un manque d’imagination exemplaire, baptisé 107 Piscium, avait tout simplement cessé d’exister.

 

 

Le chirurgien général Grelier daignait enfin se pointer. La reine Jasmina entendait le bruit de ses pas sur le caillebotis métallique de la coursive qui reliait la salle de commandes au reste du vaisseau. Comme toujours, il réussissait à ne pas avoir l’air particulièrement pressé. Elle se demanda fugitivement si elle n’avait pas trop tiré sur la corde en léchant le derrière de ce Quaiche. Auquel cas, il était temps de donner l’impression à Grelier qu’il était rentré en grâce.

Une image vacilla sur les afficheurs du crâne, attirant son attention. L’espace d’un instant, une ligne de texte remplaça les résumés qu’elle parcourait – des salades à propos d’une anomalie de capteur.

La reine Jasmina secoua le crâne. Elle avait toujours été convaincue qu’il était possédé, et cette horreur lui donnait de plus en plus l’impression de devenir sénile. Si elle avait été moins superstitieuse, elle l’aurait purement et simplement jeté, mais la rumeur disait que des choses horribles étaient arrivées à ceux qui ignoraient ses recommandations.

On frappa poliment à la porte.

— Entre, Grelier.

La porte blindée s’éclipsa. Grelier émergea dans la salle, les yeux ronds, attendant que ses prunelles s’adaptent à la pénombre. C’était un petit homme mince, tiré à quatre épingles, avec une tignasse blanche coupée en brosse rigoureusement horizontale. Il avait le faciès aplati, minimal, d’un boxeur. Il portait une blouse de médecin blanche, immaculée, et il avait les mains éternellement gantées. Son expression amusait toujours Jasmina : il donnait en permanence l’impression d’être sur le point d’éclater de rire – ou en sanglots. C’était une illusion : le chirurgien général ignorait à peu près ces deux extrêmes émotionnels.

— Alors, Grelier, tu étais occupé dans la fabrique de corps ?

— Un tantinet, ma Reine.

— J’anticipe une période d’accroissement des demandes. La production ne doit pas ralentir.

— Il n’y a pas de danger, ma Reine.

— Je t’aurai prévenu. Maintenant, trêve de civilités, ajouta-t-elle avec un soupir. Passons aux choses importantes.

— Je vois que vous avez pris de l’avance, fit Grelier en hochant la tête.

En attendant son arrivée, elle s’était sanglée sur son trône, bouclant des bracelets de cuir autour de ses chevilles et de ses cuisses, une bande plus large autour de son ventre, son bras droit étant menotté à l’accoudoir. Seul son bras gauche était encore libre de se mouvoir. Elle tenait le crâne-afficheur de la main gauche, les écrans incrustés dans ses orbites tournés vers elle. Avant de prendre le crâne, elle avait passé son bras droit dans une machine squelettique fixée sur le côté du fauteuil. L’engin – l’alléviateur – était une cage de fer forgé, rudimentaire, munie de patins presseurs rivetés qui appuyaient déjà désagréablement sur sa peau.

— Fais-moi mal, ordonna la reine Jasmina.

Grelier esquissa un sourire fugitif. Il s’approcha du trône, vérifia que l’alléviateur était bien fixé et commença à serrer les vis de l’engin de torture, l’une après l’autre, d’un quart de tour. Les patins presseurs s’enfoncèrent dans l’avant-bras de la reine, qui était lui-même soutenu par un système de patins fixes. Le soin avec lequel Grelier tournait les vis évoquait l’accordeur d’un monstrueux instrument à cordes.

Ce n’était pas agréable. C’était le but.

Cela fait. Grelier alla se placer derrière le trône. La reine le regarda tirer un rouleau de cathéter de la petite trousse médicale qu’il gardait à cet endroit. Il introduisit l’un des embouts du tube dans une bouteille énorme, pleine d’un fluide jaune paille, l’autre étant muni d’une aiguille hypodermique. Tout en fredonnant et en sifflotant, il accrocha la bouteille à une potence fixée à l’arrière du trône et enfonça l’aiguille dans le bras droit de la reine, en farfouillant un peu pour trouver une veine. Elle le regarda revenir vers le devant du trône, face au corps.

C’était un corps féminin, cette fois. Ce n’était pas obligatoire. Bien que tous les corps fussent cultivés à partir du matériel génétique de Jasmina, Grelier pouvait intervenir à une étape primitive du développement et agir sur le sexe de l’organisme – généralement masculin ou féminin. De temps en temps, pour changer, il lui fabriquait des sujets asexués ou des variantes intersexuelles. Ils étaient tous stériles, parce que ç’aurait été une perte de temps de les doter d’un système reproducteur opérationnel. Il était déjà assez compliqué de les munir des implants neuraux de couplage qui permettaient à la reine de les télécommander.

Soudain, elle sentit la souffrance perdre de son intensité.

— Je ne veux pas d’anesthésie, Grelier.

— La douleur sans soulagement intermittent est une musique sans silences, dit-il d’un ton sentencieux. Vous devez vous fier à mon jugement en la matière, comme vous l’avez toujours fait, d’ailleurs.

— Je te fais confiance, Grelier, dit-elle à contrecœur.

— Sincèrement, ma Reine ?

— Oui. Sincèrement. Tu as toujours été mon favori. Mais tu le sais, n’est-ce pas ?

— J’ai une mission à accomplir, ma Reine. Je me contente de l’effectuer au mieux de mes possibilités.

La reine reposa le crâne sur ses cuisses. De sa main libre, elle ébouriffa sa tignasse blanche.

— Nous serions perdue, sans toi, tu sais ? Surtout maintenant.

— C’est idiot, ma Reine. Vous en saurez bientôt plus que moi.

Ce n’était pas une basse flatterie : Grelier avait consacré sa vie à l’étude de la douleur, mais Jasmina apprenait vite. Elle en connaissait un rayon sur la physiologie de la douleur. La nociception n’avait pas de secrets pour elle. Elle connaissait la différence entre les douleurs épicritiques et protopathiques ; elle savait tout sur les blocages présynaptiques et le chemin néospinal. Elle savait faire la différence entre ses promoteurs de prostaglandines et les agonistes GABA.

Et surtout, elle connaissait la douleur sous un angle que Grelier ignorerait toujours. Ses goûts le portaient uniquement à infliger la douleur. Il ne la connaissait pas de l’intérieur, du point de vue privilégié de la réception. Peu importait l’ampleur de la connaissance théorique qu’il pouvait en avoir, elle aurait toujours un avantage sur lui.

Comme la plupart des gens de son époque, Grelier ne pouvait qu’imaginer la souffrance, l’extrapoler un millier de fois à partir de la douleur mineure provoquée par l’arrachement d’un ongle.

Bref, il n’en avait aucune idée.

— Il se peut que j’aie beaucoup appris, répondit-elle. Mais tu seras toujours mon maître en matière de clonage. Je ne plaisantais pas, tout à l’heure. Grelier. J’anticipe une demande accrue de la fabrique. Tu pourras me satisfaire ?

— Vous avez dit, ma Reine, que la production ne devait pas décroître. Ce n’est pas tout à fait la même chose.

— Je ne pense pas que tu fonctionnes à la capacité maximale, pour le moment.

Grelier resserra les vis d’un quart de tour.

— Je serai franc avec vous, ma Reine : nous n’en sommes pas loin. À l’heure actuelle, je n’hésite pas à éliminer les sujets qui ne satisfont pas totalement à nos critères. Mais si la fabrique doit accroître sa production, les critères devront être revus à la baisse.

— Tu en as supprimé un, aujourd’hui, n’est-ce pas ?

— Comment le savez-vous ?

— Je pensais bien que tu privilégierais l’exigence de qualité. Et tu as eu raison, ajouta-t-elle en levant le doigt. C’est pour ça que tu travailles pour moi. C’est une déception, bien sûr – je sais exactement quel corps tu as avorté –, mais les critères sont les critères.

— Tel a toujours été mon mot d’ordre.

— Il est fort regrettable qu’on ne puisse en dire autant de tout le monde à bord de ce vaisseau.

Il fredonna et sifflota intérieurement pendant un bref instant, puis il remarqua, avec une désinvolture étudiée :

— J’ai toujours eu l’impression que vous aviez un équipage hors pair, ma Reine.

— Oh, ce n’est pas l’équipage régulier qui pose problème.

— Ah. Alors vous faites sûrement allusion à l’un des hors-cadre… Pas à moi, j’espère ?

— Ne fais pas semblant, tu sais parfaitement de qui je veux parler.

— Quaiche ? Sûrement pas.

— Oh, ne joue pas à ce petit jeu avec moi, Grelier. Je sais exactement ce que tu penses de ton rival. Le plus drôle, je vais te dire, c’est que vous vous ressemblez plus que vous ne le pensez. Vous êtes des êtres humains standard, tous les deux en rupture de ban avec votre culture. Je fondais de grands espoirs sur vous deux, mais j’en viens à me demander si je ne vais pas être amenée à me passer de Quaiche.

— Ma Reine aura sûrement à cœur de lui laisser une dernière chance. Nous approchons d’un nouveau système, après tout.

— Ça te plairait, hein ? Tu aimerais bien le voir se planter encore une fois, afin que mon châtiment soit d’autant plus sévère ?

— Je ne pensais qu’au bien du vaisseau.

— Mais bien sûr, Grelier, fit-elle, amusée. Enfin, je n’ai pas encore décidé ce que j’allais faire de lui. Mais il faudra que nous ayons une petite conversation, lui et moi. J’ai reçu une nouvelle information à son sujet, par le biais de nos partenaires commerciaux…

— Je vois, fit Grelier.

— Il semblerait qu’il ne m’ait pas dit toute la vérité sur ses expériences passées, lorsque je l’ai recruté. C’est ma faute, aussi : j’aurais dû me renseigner plus à fond sur lui. Mais ça n’excuse pas le fait qu’il ait exagéré ses réussites antérieures. Je pensais que nous faisions appel à un négociateur chevronné, en même temps qu’à un expert de l’environnement planétaire. Un homme qui se sentait à l’aise parmi les Ultras comme parmi ses pareils, un homme capable de négocier au mieux de nos intérêts et de trouver un trésor à un endroit où il nous aurait complètement échappé.

— Ça semble bien correspondre à Quaiche…

— Non, Grelier, ça ressemble au portrait que Quaiche nous a fait de lui-même. Mais il est illusoire. En réalité, ses exploits sont beaucoup moins impressionnants. Il lui est arrivé de réussir de jolis coups, mais il a connu tout autant d’échecs. C’est un aventurier : un vantard, un opportuniste et un menteur. Et contaminé, par-dessus le marché.

— Contaminé ? fit Grelier en haussant un sourcil.

— Il est porteur d’un virus d’endoctrinement. Nous l’avons scanné, à la recherche des micro-organismes habituels, mais cette souche nous a échappé, parce qu’elle n’était pas dans notre base de données. Par bonheur, il n’était pas très contagieux – du reste, aucun de nous n’a été contaminé.

— De quel genre de virus d’endoctrinement s’agit-il ?

— Un mélange grossier, une vulgaire mixture de trois mille ans d’imagerie religieuse mâtinée de principes religieux rigides. Ça ne lui confère pas une foi cohérente ; il a seulement l’impression d’être pieux. Il a manifestement réussi à garder cette religiosité sous contrôle, mais ça m’inquiète, Grelier. Et s’il avait des accès de mysticisme ? L’idée que cet homme pourrait avoir des pulsions imprévisibles me déplaît.

— Alors vous le laisseriez partir ?

— Pas tout de suite. Pas avant d’avoir atteint 107 Psc. Donnons-lui une dernière chance de se racheter.

— Qu’est-ce qui vous fait penser qu’il va trouver quelque chose maintenant ?

— Je doute qu’il y arrive, mais je crois plus probable qu’il trouve quelque chose si je lui fournis l’incitation voulue.

— Il pourrait tenter de prendre la fuite…

— J’y ai pensé aussi. En réalité, je pense avoir fait le tour du problème, en ce qui le concerne. Tout ce dont j’ai besoin pour l’instant, c’est de Quaiche lui-même, dans un certain état de conscience. Tu pourrais m’arranger ça ?

— Tout de suite, ma Reine ?

— Pourquoi pas ? Comme dit le proverbe, il faut battre le fer tant qu’il est chaud.

— L’ennui, reprit Grelier, c’est que notre bonhomme est cryonisé ; il faudrait six heures pour le réveiller, en respectant les procédures recommandées.

— Et sinon ? insista-t-elle, manifestement anxieuse de la brève autonomie vitale que lui promettait son nouveau corps. Combien d’heures pouvons-nous raisonnablement espérer gagner ?

— Deux, tout au plus, si vous ne voulez pas courir le risque de le tuer. Et même sans ça, le réveil risque d’être un poil désagréable.

Jasmina lui lança un sourire.

— Bah, il s’en remettra. Et euh… Grelier, une dernière chose.

— Ma Reine ?

— Apporte-moi la poupée d’acier…

Le Gouffre de l'Absolution
titlepage.xhtml
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_000.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_001.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_002.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_003.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_004.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_005.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_006.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_007.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_008.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_009.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_010.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_011.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_012.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_013.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_014.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_015.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_016.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_017.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_018.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_019.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_020.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_021.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_022.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_023.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_024.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_025.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_026.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_027.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_028.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_029.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_030.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_031.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_032.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_033.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_034.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_035.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_036.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_037.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_038.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_039.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_040.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_041.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_042.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_043.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_044.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_045.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_046.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_047.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_048.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_049.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_050.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_051.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_052.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_053.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_054.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_055.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_056.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_057.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_058.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_059.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_060.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_061.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_062.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_063.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_064.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_065.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_066.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_067.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_068.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_069.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_070.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_071.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_072.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_073.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_074.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_075.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_076.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_077.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_078.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_079.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_080.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_081.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_082.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_083.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_084.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_085.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_086.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_087.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_088.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_089.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_090.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_091.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_092.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_093.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_094.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_095.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_096.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_097.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_098.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_099.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_100.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_101.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_102.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_103.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_104.html
Reynolds,Alastair-[Inhibiteurs-4]Le Gouffre de l'Absolution(2003).French.ebook.AlexandriZ_split_105.html